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24 novembre 2008

L’art de la pensée négative

« Le pays des chimères est en ce monde le seul digne d’être habité, et tel est le néant des choses humaines, que hors l’Être existant par lui-même, il n’est rien de beau que ce qui n’est pas. »

Jean-Jacques Rousseau

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Comment supporter la réalité ? Surtout lorsque celle-ci vous met le cul sur une chaise roulante et que la terre ne tourne qu’à la force des bras. Réponse : elle est insupportable, c’est tout. Elle pue inéluctablement et l'on ne peut soutenir son spectacle sans avaler du plomb. C’est sensiblement la morale du film Scandinave "L'art de la pensée négative" qui sort demain sur les écrans français.

Et pourtant, en gros facho de la pensée arrière, j'ose rappeler qu'il est un art de la pensée positive, et qu'il est sans nul doute mal représenté dans le film de BÅRD BREIEN. Living is easy with eyes closed chante John Lennon dans Strawberry fields tandis qu'Aldous Huxley vante le mérite de la profusion de perfusion dans Le Meilleur des Mondes. J'ai retiré de la lecture de Rousseau une sorte de nostalgie des temps où l'homme était débile profond, mais tellement plus... profond.

Alors, pensée positive ou pensée négative ? Ready to Rumble !

Le film narre la descente aux enfers  d’une bande de dépressifs et d'handicapés qui réussissent à survivre grâce à l'organisation d'un groupe de soutien moral, où a cours une sorte de sous-philosophie positiviste, mixture mi-Leibnizienne mi-Gandhiesque, qui les aident à survivre malgré la tristesse de leur vie paraplégique. Malheureusement, pour avoir voulu intégrer un nouvel élément à leur "groupe de soutien", personnage principal de ce drame, ils sont contaminés par son cynisme et sa soif de réalité. Pour cet anti-héros de la chaise roulante, impuissant alcoolique amateur de film de guerre des 70s, pas question d’être secouru d'aucune manière ! Pas question d’avoir recours à ces illusions que sont le langage réparateur, l’amitié, ou autres thérapies qui ne feront, selon lui, qu’emprisonner la tristesse dans une prison bien fragile. Just the fucking truth !

FUCK THEM ALL ! Non content de brouter des pissenlits et du hasch, il va entreprendre de détruire chez les autres membres du groupe. le fragile édifice de positivité qui leur permet, par des mensonges, de supporter l'existence. Le spectateur assiste à une sorte de délire orgiaque où une vieille mémé dépressive s’imbibe et se médicamente jusqu’à vomir, une paraplégique tente de se suicider mais ne réussit pas à faire franchir à sa chaise roulante la corniche de la terrasse, un débile profond rêvant de niquer mémé dans les chiottes… Les pauvres bougres passent du mensonge précaire d’une existence dénuée de colonne vertébral à la réalité cradoque de leurs corps pourrissant.


 

Epouser la réalité. Est-ce cela la « pensée négative » : dire les vérités qui puent et les exhiber comme on chante son cancer ? Vérité et réalité, une même odeur de merde ? Rien d’exceptionnel dans cette pensée de la réalité qui me fait moi-même hésiter au seuil des déchéances, rien que notre époque et son grand néant, refusant les recours du mensonge et de l’illusion assimilés à l'enfance de l'humanité. Plus question de sucer son pouce, par contre le clito de  grand-mère, faut voir... C'est un peu ça le XXI° siècle.

C’est ça la pensée négative. La réalité telle qu’elle fut promut par la révolution réaliste de Balzac, Zola, puis des purulences Bukowskiesque. Mais est-ce vraiment, aussi loin que sont concernés les préceptes existentiels exprimés dans le film, un ART ? Car l’art reste... un enchantement, un recours à l’illusion dans un monde dont le mouvement naturel consiste à s'en débarasser. L'enchantement de l'immonde, comme disait Marcel Gauchet.

Loin de moi l’idée de critique les littérateurs susnommés, et même pas ce film dont l’humour irrévérencieux et glauque m’a tout à fait séduit, je me permets simplement, traçant ce lien vers ma propre vie, d’exprimer quelque doute sur le bien-fondé d’une telle philosophie de l’existence. Et puis je n'ai ni le temps ni l'envie d'allonger encore le périlleux exercice.


Mais pourquoi rejeter les plus beaux paradis et se contenter des artificiels ? Le paradoxe du film, peut-être conscient à l’écriture, c’est que le rejet de l’artificialité des remèdes de la pensée positive, et de son artisanat du bobard, mène les personnages à se vautrer dans l’alcool et différents stupéfiants qu’il serait fastidieux de nommer.

Moralité : personne n'échappe aux chimères.


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